Le contenu généré par les utilisateurs (UGC), un levier à faible coût déjà largement adopté par les professionnels du marketing, peut-il s’étendre à d’autres industries créatives ? Plusieurs acteurs du jeu vidéo en sont persuadés. Depuis plusieurs mois, des studios et éditeurs, comme Epic Games, semblent vouloir capitaliser sur l’UGC, en mettant à disposition des outils permettant aux joueurs de créer et monétiser leurs propres assets, comme des skins ou des maps, qui peuvent être intégrées à leurs jeux. L’objectif ? Transformer les joueurs en ambassadeurs, en leur permettant de contribuer au développement, tout en concevant des expériences persistantes et interactives.

Pour mieux comprendre ce phénomène, qui a toujours existé – notamment au travers des mods* – dans l’industrie mais sans être aussi structuré (et rémunérateur), BDM a interrogé Costantino Carrega. Cofondateur de PlayMakers, entreprise spécialisée dans la distribution de contenus générés par les utilisateurs, il explique les raisons de la démocratisation de l’UGC dans son industrie, et les défis techniques et économiques que cela implique.

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Costantino Carrega, cofondateur de PlayMakers

Diplômé de l’Université Bocconi à Milan, Costantino Carrega fut l’un des premiers employés d’Homa Games, une scaleup parisienne spécialisée dans l’édition de jeux “hypercasuals”. Également passé par BoomBit et TapNation, il a lancé PlayMakers en 2022, une plateforme visant à faciliter la démocratisation de l’UGC dans le jeu vidéo.

Peux-tu m’expliquer le concept de PlayMakers ?

COSTANTINO CARREGA – L’idée est venue d’Ilan Nabeth, cofondateur de PlayMakers, que j’ai rencontré en 2019 chez Homa Games, une startup parisienne spécialisée dans les jeux mobiles “hypercasuals”. Il y a environ deux ans, Ilan m’a partagé son projet de concevoir un auto battler (jeu de stratégie intégrant des mécaniques proches des échecs, NDLR), fortement centré autour du contenu généré par les utilisateurs (UGC).

Au départ, son ambition était de décentraliser le développement : il envisageait de concevoir un squelette avec des mécaniques simples, puis de permettre à la communauté de l’enrichir par la suite avec des animations, des musiques ou des skins. Au-delà de la création de cette ossature, notre mission aurait été de veiller à ce que l’univers reste cohérent au gré des ajouts. Puis ce projet a évolué pour donner naissance à PlayMakers : une solution SaaS permettant aux studios de collecter et d’utiliser des assets conçus par leur communauté. S’il était possible d’appliquer le concept imaginé par Ilan sur un jeu, pourquoi ne pas l’étendre à d’autres ?

PlayMakers a levé des fonds, et propose désormais une solution en marque blanche, qui prend la forme d’une interface web où les joueurs peuvent soumettre de nouveaux assets, comme des skins ou des maps, mais aussi d’une API que l’on peut connecter au cœur du jeu. En complément, nous proposons aussi la possibilité d’ouvrir une marketplace, où le contenu UGC peut être monétisé afin de renforcer l’engagement des joueurs.

Pourquoi avoir choisi de lancer PlayMakers maintenant ? Quel a été l’élément déclencheur ?

Nous avons réalisé que le concept que nous avions imaginé pour notre jeu pouvait être adapté et décliné. Et que, dans le même temps, l’UGC devenait une trend dans le l’industrie du jeu vidéo, notamment grâce à des acteurs comme Minecraft, Roblox ou Fortnite. Et c’est logique : les communautés s’engagent de plus en plus, et ont un accès facilité aux outils de création.

L’idée de PlayMakers, c’était de rendre l’UGC accessible à de plus petites structures, notamment les studios indépendants, qui ne disposent ni du temps, ni des ressources financières pour créer leur propre plateforme, mais qui développent des titres pouvant accueillir des contenus additionnels, comme des maps ou des skins. Comme des jeux au modèle free-to-play.

Comment définiriez-vous l’UGC dans l’industrie du jeu vidéo et en quoi diffère-t-il de l’UGC dans d’autres domaines ?

L’UGC, c’est extrêmement commun dans le marketing. C’est un format à part entière, incarné par des consommateurs ou des influenceurs recrutés par la marque. C’est très facile à produire, et c’est efficace en termes de conversion. L’exploitation de l’UGC, dans le milieu du jeu vidéo, est plus complexe. Le contenu est intégré au gameplay ou à l’univers. Quand il s’agit d’une musique, c’est simple. C’est un fichier MP3, ça n’a pas forcément d’incidence. En revanche, intégrer des animations peut contraindre à ajouter du code ou des mécaniques supplémentaires. On se rapproche davantage de la pratique du modding*, qui existe depuis plusieurs années dans le secteur.

Le modding représente la majorité du contenu UGC aujourd’hui et prend de multiples formes. Il peut s’agir de mécaniques de gameplay ou d’éléments purement cosmétiques, par exemple. Notre objectif est de simplifier l’intégration de cette pratique qui, comme dit précédemment, est difficile à mettre en place. Elle peut représenter un défi technique, notamment en matière de compatibilité, tout en modifiant profondément le gameplay d’un jeu.

*Le modding consiste à modifier partiellement ou intégralement un jeu pour en créer une version alternative. Un mod peut modifier certaines mécaniques du titre original, son environnement ou proposer des quêtes additionnelles. Certains mods, particulièrement populaires, sont devenus des titres à part entière, comme Counter Strike ou Garry’s Mod (conçus à partir d’Half-Life) ou DotA (développé à partir de Warcraft 3). Le mod peut donc être catégorisé parmi les UGC. 

Nous avons abordé brièvement ce sujet mais selon toi, quels sont les exemples les plus réussis d’UGC dans l’industrie du jeu vidéo ?

La plus grande réussite, c’est Roblox. Presque tout le contenu du jeu est produit par la communauté. C’est une machine huilée, qui génère du profit pour l’entreprise. Dans le cas de Fortnite, il s’agit plutôt d’un investissement de la part d’Epic Games, son studio de développement. Ils sont conscients du potentiel, probablement grâce à Roblox d’ailleurs, et investissent plus d’un milliard de dollars dans l’UGC avec 40 % des revenus qui sont reversés aux créateurs. Le processus se fait moins naturellement que sur Roblox.

Existe-t-il des déjà influenceurs ou micro-influenceurs UGC dans le secteur du jeu vidéo ?

Il y a déjà des influenceurs de l’UGC qui émergent, et d’autres vont suivre. Sur Fortnite, par exemple, de nombreux streameurs présentent, sur Twitch, les niveaux ou les expériences qu’ils conçoivent. Certains publient des aperçus de leurs skins sur Instagram. Les studios, comme nous, ont tout intérêt à solliciter ces influenceurs, car en termes d’acquisition pour les jeux, c’est intéressant.

Existe-t-il, actuellement, des freins technologiques ou économiques au développement de l’UGC dans l’industrie du jeu vidéo ?

Je ne parlerais pas de freins. Au contraire, les outils de création deviennent de plus en plus accessibles, ce qui devrait favoriser le développement de l’UGC. Tout le monde ne peut pas concevoir une arme pouvant s’intégrer à Apex Legends en 10 minutes, bien sûr, mais le pourcentage de créateurs au sein d’une communauté est amené à augmenter. Le frein se situe plutôt au niveau des studios, qui sont souvent attachés à leur direction créative. Pour intégrer du contenu créé par les fans, il faut être ouvert à leurs idées et à leurs visions.

Pour quelles raisons les studios de développement ont-ils, selon vous, intérêt à miser sur l’UGC ?

Miser sur l’UGC permet de débloquer de nouvelles sources de monétisation pour les studios, sans utiliser leurs ressources internes, tout en prolongeant la durée de vie du jeu. On le voit avec Skyrim, qui vit depuis plus de dix ans maintenant grâce à sa communauté de modders. Impliquer la communauté dans le développement, potentiellement dès la phase de conception, pourrait aussi permettre de s’assurer que le produit correspond à leurs attentes. Ce qui réduit la probabilité qu’ils soient déçus à la sortie.

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